Ahlem B.

Maroc : la burqa, une interdiction, des questions

Mon pays me réserve souvent bien des surprises… et fait rare, celle-ci en est une bonne ! Il y a quelques jours, certains sites d’informations marocains ont annoncé que le ministère de l’Intérieur aurait interdit la production et la commercialisation de la burqa au Maroc, pour des raisons de sécurité. Très vite, la machine s’est emballée et les médias locaux ont relayé l’information, les médias internationaux l’ont félicitée, les intellectuels l’ont analysée, les réseaux sociaux l’ont commentée, les détracteurs l’ont fustigée… Alors moi bien entendu, j’ai voulu en savoir plus sur cette interdiction, pour en connaitre les contours et m’assurer qu’il ne s’agit pas uniquement d’un effet d’annonce, rediffusé par mimétisme médiatique.

 

En parcourant les différents sites d’informations, je réalise que certains relatent l’interdiction au conditionnel, d’autres au présent… que certains illustrent leur article avec un niqab en titrant burqa, d’autres le jilbab… qu’ici on parle d’une circulaire écrite, là d’une notification orale… Moi qui cherchais une information sûre et fiable, j’en ressors plus confuse encore, avec davantage de questions que de réponses. J’ai donc décidé de me pencher sur cette annonce au contenu imprécis, aux contours flous et aux sources anonymes.

 

Soulevons d’abord la question de l’objet de l’interdit : la burqa.

Pourquoi avoir choisi la burqa, alors que c’est une pratique marginale au Maroc ? Pourquoi ne pas avoir explicitement évoqué le niqab, plus répandu ? Selon le site Yabiladi, le terme burqa aurait été mis en avant par les autorités pour désigner « l’ensemble des voiles intégraux », Média 24, « tout ce qui couvre entièrement le visage ». Par ailleurs la plupart des médias ont illustré leur article avec un niqab et non une burqa. Quel imbroglio !  Et je dois avouer que parfois, moi aussi je suis perdue dans ces dénominations nouvelles : burqa, niqab, tchador, jilbab et autres curiosités moyen-orientales, dont j’avais à peine connaissance avant de connaître Ben Laden !
La burqa désigne ce voile intégral porté principalement en Afghanistan, au Pakistan et en Inde. La burqa correspond à l’application de la purdah (littéralement « rideau ») qui désigne une pratique empêchant les hommes de voir les femmes et l’obligation de ces dernières de se couvrir. La stricte application du purdah restreint leurs activités personnelles, sociales et économiques à l’extérieur de la maison. Il y a 2000 ans avant l’islam, les femmes de l’ancienne Assyrie restaient à l’intérieur, dans la pénombre.

Après les invasions en Perse au 7ème siècle, cette pratique a été adoptée par les musulmans : elle s’est probablement développée en Perse et s’est ensuite répandue dans les pays voisins. On l’appelle aujourd’hui voile islamique, suggérant ainsi que le port du voile est une prescription de la religion musulmane. Pourtant, il s’agit d’une tradition païenne Assyrienne datant de … 2000 ans avant l’avènement de l’Islam…. et qui a resurgi bien après la mort du prophète. Puis dans le années 80, sous le régime des talibans.

 

Pour dépêtrer tout cela, voici un bref rappel des caractéristiques de chacune de ces tenues.

Le hijab signifie « voile », « rideau ». On l’emploie pour parler du voile le plus répandu, couvrant la tête et les cheveux, mais pas le visage.

Le jilbab, une longue robe, souvent noire et utilisée par les Saoudiennes. Il ne cache pas le visage, mais il couvre l’intégralité du corps, masquant les formes de ses porteuses.

Le tchador est un vêtement  iranien correspondant à la pratique du chiisme iranien. Le tchador n’est pas seulement le voile , mais une pièce de tissu, sans manches, que les femmes iraniennes portaient avant l’avènement de l’islam.

Le niqab masque le visage et tout le corps, à l’exception des yeux. Il est plutôt le fait de pratiquants d’un islam rigoriste, notamment les salafistes. Le niqab s’accompagne parfois de gants pour dissimuler les mains et de lunettes de soleil ou d’un masque pour les yeux.

 

« Le voile intégral » a évolué au fil du temps et de l’espace, se propageant à coups d’imams farfelus, de dollars et de pétro-dollars, de complots, de coups d’états et de guerres intestines/ internationales. Les médias, dans la confusion, le sensationnalisme, dans la multitude d’informations, lui ont permis de devenir une information vraie, en diffusant largement la dénomination  « voile islamique »: cette information, sur-intériorisée est devenue vérité, cette tradition lointaine, la norme religieuse.

 

Ceux qui arguent que le voile intégral est une tradition de l’Islam ne font que démontrer leur méconnaissance sur cette pratique ! Ils continuent de l’employer comme instrument d’oppression et de négation de la moitié de notre humanité, pour maintenir leur société dans une structure patriarcale extrême, qui nie et efface l’existence même de la femme de la vie.

 

Plus qu’un vêtement, c’est une revendication politique qui se réclame des mouvements les plus extrêmes. C’est un porte-drapeau, noir étendard de mouvements politiques et idéologiques plus que d’une conviction religieuse.

 

 

Passons à présent aux questions autour de la circulaire. Où est-elle ? Quel numéro porte-t-elle ? Sur quel texte (loi, décret…) s’appuie-t-elle ? Quel fondement légal ? Jusqu’à présent, l’information de l’interdiction s’appuie sur des sources officieuses qui la relaient sous couvert d’anonymat. Voilà près d’une semaine que la presse se fend d’articles et toujours aucune communication officielle. Et là je réalise.

 

Quelle manœuvre politique subtile, car ourdie pendant une période de flottement durant laquelle le Maroc brille par son absence de gouvernement : personne pour voter un texte, le débattre, le contester, le retarder… Pour rappel, depuis les dernières élections législatives il y a près de 4 mois, le Maroc attend toujours la constitution de son gouvernement. Le chef du gouvernement sortant, Abdelilah Benkirane, avait été mandaté par le le roi Mohammed VI pour constituer une nouvelle majorité, suite à l’annonce des résultats qui ont donné gagnant le parti PJD (Parti de la Justice et du Développement). Depuis, faute de réunir de majorité, le pays attend son gouvernement, spectateur d’un blocage et de tractations politiques, tiraillé entre un parti islamiste qui se prétend modéré et qui a démontré le contraire sur le terrain ces dernières années, et des partis de technocrates décidés à porter le Maroc dans une ère économique moderne.

 

Quelle stratégie habile, car elle émane du ministère de l’intérieur, invoquant la sécurité de l’État pour justifier la décision: qui pourrait contester la Raison d’État, sinon un ennemi de la nation? Imaginez un instant le tollé si cette interdiction avait émané du ministère des Habbous et affaires islamiques…
Quelle opération étatique ingénieuse, car non seulement elle permet à nos services de renseignements de cartographier les foyers de résistance et d’identifier les récalcitrants qui pourraient constituer une menace dans la lutte contre le fondamentalisme et le terrorisme. Mais elle permet également de rectifier cette tendance importée de l’exterieur vers un radicalisme religieux, depuis l’arrivée du PJD au pouvoir il y a une dizaine d’années, et de recadrer et restaurer le positionnement du Maroc comme le pays d’un islam pacifiste, tolérant et ouvert sur le monde.

 

Quel formidable écho au discours du roi du Maroc, à Rabat pour le 63e anniversaire de «la Révolution du roi et du peuple» et celui de Dakar à l’occasion de la célébration de la Marche Verte, contre toute forme de terrorisme et d’obscurantisme justifiés au nom de l’islam.

 

Bref. Bien que floue, bien qu’imprécise, bien qu’elle soulève des questions, cette interdiction me réjouit ! Le Maroc lance son offensive contre ces accoutrements qui ne sont ni une tradition marocaine, ni une tradition islamique. Il coupe l’herbe sous le pied des prétendus imams d’outre-mer et autres prophètes de malheur qui voudraient nous faire croire qu’il s’agirait d’une obligation religieuse et universelle. Alors j’ajouterai aussi, quel courage ! Le Maroc prend position et interdit cette pratique avilissante, au risque de se mettre à dos une partie des pays et des musulmans les plus radicaux.
En revanche, le traitement de cette information a révélé l’ignorance et la confusion qui règnent dans certains médias de masse et dans l’opinion publique. Il serait une erreur de continuer d’employer les termes de « voile islamique » pour désigner la burqa ou le niqab. Peut-être « voile intégral » ? Les médias ont une responsabilité, celle de fournir une information documentée, fiable et vérifiée… autrement, ils finissent par créer et répandre des idées fausses. Et à force de les répéter, elles en deviennent vraies.

 

Ah et dernière chose, qui a retenu mon attention. Hier, je lisais cela, sur un site d’information européen : « simple hijab ». Rappelons qu’il y a encore 10 ans au Maroc (et dans le monde), des débats similaires portaient autour du voile « hijab ». Le hijab désigne le voile que certaines femmes musulmanes disposent sur leur tête pour dissimuler leurs cheveux. Aujourd’hui, on l’appelle « simple hijab », on le préfère, comme un « moindre mal ». Comment en si peu de temps, médias et opinion publique, ont-ils glissé ? Comment le débat sur le voile intégral a-t-il supplanté celui du hijab ? Comment, ce qui était inacceptable il y a encore une décennie, l’est devenu aujourd’hui ?

 

Que nos esprits sont amnésiques ! Que nos cerveaux malléables !

Ahlem B.

Crédit photo: nabilghandi.com


« Raconte, Shéhérazade » احكي يا شهرزاد

Ces textes sont le résultat d’une collaboration avec la CMOOA et la talentueuse Radia Biaz Lahlou. J’ai eu le plaisir de ressusciter Sheherazade et les « Mille et une Nuits » pour raconter l’exposition de Radia Biaz Lahlou à travers des contes imaginés, en phase avec l’actualité du monde arabe.

Il était une fois à Baghdad, un vieux géologue fantasque et rêveur. Toujours une pioche à la main, l’original parcourait le monde et creusait partout, partout où il pouvait! Il creusait sous les roches et les montagnes et les sables et les rues et les trottoirs et les maisons…, enfin, tout ce sur qu’il foulait sous ses pieds, il ne pouvait s’empêcher de le creuser! Il faut dire que depuis ses 7 ans, le vieux géologue était obsédé par l’idée de faire une découverte extraordinaire qui le mènerait à la gloire universelle. Seulement à 110 ans, voilà que, à son grand dépit, il n’avait toujours pas fait sa découverte extraordinaire.

Un jour, au milieu d’un désert brûlant, le géologue creusait comme à l’accoutumée quand sa pioche buta contre un objet dur et se fendit. Lui, il tomba à la renverse et sa tête buta contre une pierre. En se relevant, il remarqua que c’était une pierre blanche, qui semblait avoir été taillée et sculptée avec une telle précision, une telle finesse, une telle passion, qu’il sentît qu’elle se tenait juste là, sa découverte extraordinaire!
Cependant, il n’avait plus de pioche pour poursuivre l’excavation et il se méfiait bien trop de confier son secret aux coquins de savants qui s’empresseraient de s’approprier sa découverte. Il creusa donc avec ses mains et sa détermination; peu importait la douleur de ses paumes lacérées et ensanglantées, peu importait le soleil de plomb et l’aridité du désert, seule comptait la trouvaille.

Il creusa ainsi à mains nues durant 10 ans, comme un forcené, jusqu’à ce qu’il put enfin déterrer le trésor : une statue! Une femme sculptée, sublime, monumentale ; sous ses aisselles perçaient des ailes, comme prêtes à laisser s’envoler la femme, qui semblait retenus par des chaînes et un tissu noir couvrant sa taille. Il fouilla autour de la statue et découvrit, contre elle, enroulés dans une peau de chèvre, des centaines de feuillets.

001 VICTOIRE ? Sculpture Résine et poudre de marbre 295 x 160 x 200 cm Radia BIAZ LAHLOU
001
VICTOIRE ?
Sculpture
Résine et poudre de marbre
295 x 160 x 200 cm
Radia BIAZ LAHLOU

L’explorateur les examina : ils comportaient des inscriptions aux caractères étranges, comme s’il s’agissait d’un autre alphabet. Cela ne ressemblait à rien de ce qu’il connaissait: était-ce la langue d’une civilisation ancienne? un langage codé? Notre savant se tenait là, recroquevillé, la main sur le menton, rajustant ses lunettes ou tripotant sa barbe, ce qui prouvait comme il était perplexe face à l’énigme. Une voix cependant lui soufflait que sa découverte allait changer le cours de l’histoire.

La statue était si colossale qu’il ne put, seul, la transporter jusqu’en ville. Figurez-vous qu’il lui fallut jusqu’à cent hommes pour la relever et jusqu’à cent autres pour la déplacer!

***************

Le géologue, n’ayant pu résoudre l’énigme des inscriptions sur les feuillets, fit part de sa découverte au royaume. Il réunit auprès de lui les plus grands savants et plus illustres spécialistes du monde. Cependant, parmi ces savants fous ou géniaux, en dépit de leurs grosses lunettes et de leur barbe, personne ne sut élucider le mystère: que représentait cette statue?

Cette femme, avait-elle existé? Était-ce une femme qu’on libérait ou que l’on enchaînait? Et ces feuillets, que signifiaient-ils? Les savants analysèrent, devisèrent, se fâchèrent, éructèrent, prouvèrent, théorisèrent mais rapidement il formèrent 2 clans : ceux qui pensaient qu’elle allait se libérer des chaînes et s’envoler, et ceux qui affirmaient qu’elle était captive de ces chaines et ce curieux drapé noir. Dans le royaume, la rumeur se répandit et tout le monde se mêla de cette affaire: dans les chaumières, les bars, les cafés, au parlement, c’était à présent la discorde partout. Le peuple aussi fut divisé en 2 clans. Les esprits s’échauffèrent et les hommes en vinrent même à se battre pour prouver qu’ils avaient tellement raison. Le savant était au bord du désespoir, il ne dormait plus, ne mangeait plus, ne se lavait plus et ne survivait plus à la mort que pour élucider le mystère de sa découverte extraordinaire.

001 VICTOIRE ? Sculpture Résine et poudre de marbre 295 x 160 x 200 cm Radia BIAZ LAHLOU
001
VICTOIRE ?
Sculpture
Résine et poudre de marbre
295 x 160 x 200 cm
Radia BIAZ LAHLOU

Un matin, notre explorateur marchait en ville en trainant son air triste et sa pioche fendue, quand soudain il s’arrêta au spectacle d’une fillette allongée sur l’herbe au milieu d’un joli jardin entouré de roses, un livre à la main. Il s’assit près de l’enfant et se confia à elle ainsi. Le vieux géologue parlait en mettant des apostrophes à toutes ses voyelles, ce qui lui donnait un drôle d’accent:

– Ô mâlheur! Ces lêttres, il faut les dêchiffrer, c’est un têmôignage de l’histoîre mon enfant, une trâce de notre humânité! Mais persônne, aujourd’hui encôre, n’â su dêchiffrer ce mystêre!

– Eh bien, demandez à Shéhérazade, l’épouse du Sultan! s’écria-t-elle.

Shéhérazade! Pourquoi diable n’y avait-il point pensé plus tôt! Le savant, qui ne tenait plus de joie, dansait en accourant au palais comme un fou. La sultane était renommée pour son érudition, pour sa mémoire prodigieuse et son goût pour l’histoire, les arts et la philosophie: elle seule pourrait résoudre ce mystère, assurément!

Lorsqu’il arriva à la porte du palais, le géologue s’adressa aux gardes ainsi :

– Je dôis voir Shéhérâzâde, une mission de lâ plus haûte importance! Une découverte extrâôrdinaire!

Les gardes se moquèrent avec un rire gras et les rustres le chassèrent à coup de bâtons.

Lui continuait de scander :

– Je dôis voir Shéhérazade, une mission de lâ plus haûte importance! Plus il criait, plus ils riaient. À ce vacarme, Shéhérazade, qui passait justement par là, entendit prononcer son nom et accourut : – Pourquoi ces cris?

– Ce va-nu-pied demande audience auprès de la sultane! Hahaha! Une mission de la plus haûte impôrtance! Hahaha Il aurait fait une découverte extraôrdinaire, clame-t-il! Hahaha!

– Shéhérazade, accôrdez-moi quelques minutes, je ne saurais trouver la paix dans la mort si je ne la trouve point ici: je dois élucider ce mystère et vous seule y pourrait m’aider.

Shéhérazade, piquée de curiosité, voulut en savoir plus sur cette fabuleuse découverte, puis, après avoir sermonné les gardes et ordonné de laisser entrer toute personne souhaitant audience, elle fit entrer le malheureux, qui boitait encore sous les coups reçus. Il conta l’histoire à Shéhérazade, la statue, la femme, les ailes, les chaînes, le drapé, les feuillets, la discorde… et Shéhérazade, dévorée de curiosité, voulut voir cette statue de femme et ces lettres codées qui divisaient tout le pays. Elle aussi, excitée par l’affaire, voulut percer à jour cette énigme: cette femme, était-elle en train de s’envoler ou de se couvrir?

Elle se rendit aussitôt auprès de Shahrayar pour l’enquérir de son projet. Le sultan, qui connaissait son goût pour l’étude et qui l’encourageait, toujours, fit atteler les chameaux et préparer le cortège pour mener son épouse à destination. Shéhérazade s’empressa de préparer sa valise, puis baisa tendrement le front de ses bambins, amoureusement la bouche de son époux et s’en alla explorer cette figure du passé, subitement surgie au présent.

***************

Le royaume était en ce temps paisible. Le sultan sanguinaire, grâce aux ruses de Shéhérazade, avait renoncé à égorger ses femmes et vivait en bonne entente avec son épouse. Ils avaient maintenant trois enfants qu’ils aimaient tendrement.

Pendant l’absence de Shéhérazade dans le royaume, il se produisit cependant des choses étranges dans la cour du sultan. Un imposteur, opportuniste et malfaisant, profitant du voyage de la sultane, se rapprocha peu à peu de Shahrayar, le flattant, vil et servile, le séduisant, fourbe et hypocrite. Quand il eut gagné sa confiance, le malfaisant ourdit une terrible machination. Il pria le sultan de rentrer plus tôt de la chasse et proposa de l’emmener en promenade pour converser dans un de ses somptueux jardins. Pendant qu’ils se promenaient entre les allées aux espèces infinies de fleurs et d’oiseaux, ils entendirent des rires et des murmures s’élever derrière un pommier: le sultan se pencha et distingua la silhouette nue d’un vieil homme et celle d’une femme qu’on eut juré être l’ombre de Shéhérazade.

002 PAIN BALL Installation 140 x 90 cm Radia BIAZ LAHLOU
002
PAIN BALL
Installation
140 x 90 cm
Radia BIAZ LAHLOU

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Shéhérazade, le tromper? Shéhérazade, avec un amant? Il ne pouvait le croire!
– Halte-là!
Les silhouettes feignirent l’étonnement et s’enfuirent pour s’enfoncer dans la nuit, se faufilant entre les rosiers et les orangers.
– C’était Shéhérazade! s’écria l’intriguant.
Il excitait la colère de ce dernier et finit par le persuader que Shéhérazade l’avait trahi. Le sultan, furieux, blessé, était à présent aveuglé par une rage noire.
Le vil homme profita de sa colère pour le persuader de capturer Shéhérazade et la lapider, la pendre, l’égorger et tout cela en même temps.
– Gardes! Arrêtez-les! Fermez les portes du palais! ordonna le sultan. Qu’on arrête Shéhérazade et qu’on me la présente! Préparez l’échafaud, les cordes, les lames et les pierres! Convoquez la foule et les bourreaux!L’imposteur se frottait les mains en aparté: sa machination avait réussi!Le père son vizir, à l’annonce de la funeste nouvelle, fut effondré: il avait compris que c’était un terrible complot. Il envoya aussitôt une dépêche à sa fille menacée, il la prévint du grand malheur et lui décrivit le sort tragique que lui réservait son époux.
Shéhérazade, qui était au fond du désert avec le vieux géologue, reçut la dépêche et interrompit aussitôt ses travaux. Elle demanda qu’on prépara son cortège pour rentrer au plus tôt au palais. Elle se para de son plus somptueux caftan et glissa quelques feuillets dans sa bourse. Notre explorateur, lui, était fou de désespoir et de dépit, et sans Shéhérazade, il ne pouvait élucider son énigme. Il décida donc de l’accompagner.La sultane arriva au palais où l’attendaient le sultan Shahrayar, l’imposteur, son père le grand vizir et ses bourreaux.
Ces derniers la menèrent à une place, derrière le palais, où les attendait une meute hystérique, aboyante, venimeuse, défigurée par la haine. Elle éructait des insultes et levait haut les mains qui serraient de grosses pierres, prêtes à les jeter sur l’infâme.
– À mort, Shéhérazade! À mort!Elle, marchait dignement, étourdissante de beauté dans son caftan brodé à la main, traversé par une large fente qui laissaient voir ses jambes gracieuses.

003 Photographie lenticulaire 170 x 105 cm - Radia BIAZ LAHLOU
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Photographie lenticulaire 170 x 105 cm – Radia BIAZ LAHLOU

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Les enfants de Shéhérazade, qui étaient présents à l’exécution, se mirent à pleurer très fort à la vue de leur mère, et à l’instant où le sultan ordonna qu’on la mît à mort, les enfants hurlèrent en choeur :

– Pitié Père! Pitié avant de la tuer, une dernière histoire, quelques minutes! On doit connaître la fin du conte entamé! Le père, qui aimait tendrement ses enfants et qui ne supportait point de les contrarier, s’émut et accorda leur grâce. Shéhérazade, reconnut là une ruse de ses enfants et sourit.

– Qu’on écoute Shéhérazade! Elle sera exécutée juste après! Le premier bourreau retira la corde de son cou, le second la lame de sa gorge et les habitants reposèrent leur pierres. La foule se tut.

Shéhérazade retrouva l’éclat de ses yeux et la belle sultane s’assit sur le rebord de l’échafaud. Elle commença son récit ainsi:

– Ce récit commence dans le palais du sultan Azal, un homme bon et aimant, sultan d’un vaste empire. Son épouse, qu’il

aimait tendrement, vouait un véritable culte aux papillons et pour lui prouver son amour, le sultan son mari, fit planter un jardin si fleuri, si coloré, si luxuriant que toutes les espèces de papillons étaient forcément attirées ici. Ainsi, tous les jours, il la prenait par la main pour lui faire découvrir une nouvelle espèce et voir ses yeux s’émerveiller.

Un soir, alors qu’il n’arrivait pas à s’endormir, le sultan sortit se promener, à la recherche d’une espèce inédite à montrer à sa douce moitié, quand soudain il aperçut deux ombres enlacées. La surprise, puis la colère le clouèrent. Sous ses yeux, il reconnut son épouse et son amant. Il bondit lestement sur eux et d’un geste vif, il trancha la gorge du traître avant de battre la traitresse à mort. De retour au palais, il réunit ses ministres pour une session extraordinaire :

– Le destin d’une femme aura scellé celle de l’empire et sa perfidie celle de toutes les femmes! Désormais, les femmes, ces êtres perfides, que dis-je! ces sous-êtres, vils et trompeurs, rusés et malfaisants devront se draper de noir et ne plus franchir le seuil de leur maison sans être accompagnés d’un tuteur mâle, certifié de leur famille. Leur maison sera leur prison, leur punition la servitude.

004 RéincaRnation installation 245 x 180 cm Radia BIAZ LAHLOU
004 RéincaRnation installation 245 x 180 cm
Radia BIAZ LAHLOU

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Le sultan, autrefois si bon, sombra dans une humeur maussade et devint plus en plus féroce. Il décida qu’il fallait asservir toutes les femmes du royaume et pour cela, il réunit les malfrats, les désoeuvrés, les convertis, les haineux, les misogynes, bref, tous les malheureux et toutes les malheureuses de l’empire et au-delà, qui trouvaient là enfin une cause à leur coeur vide, avide ou criminel et leva une armée sanguinaire. Les troupes attaquèrent les villes, brûlèrent les villages, pillèrent les monuments, décapitèrent les hommes, violèrent les femmes, égorgèrent les enfants.

Le sultan, porté par ses conquêtes, par le sang et la chair, encouragé par le silence du monde, continua dans son escalade meurtrière. Ainsi, rapidement, il légalisa le viol et l’esclavage de certaines populations puis autorisa toutes sortes de dépravations et de vices sur les femmes. Les familles tentèrent de fuir ou de s’exiler, souvent au péril de leur vie, des hommes, des femmes, des enfants, térrifiés, assoiffés, affamés, parfois blessés jusqu’aux frontières d’autres pays, mais ces dernières eurent vite fait de fermer les frontières, craignant de voir affluer ces hordes de malheureux.

005 oppREssion Bas-relief 145 x 145 cm Radia BIAZ LAHLOU
005 oppREssion Bas-relief 145 x 145 cm
Radia BIAZ LAHLOU

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À suivre…